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L'expertise du cabinet-conseil New Deal
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10 avril 2008

DIscours de Mitterrand aux obsèques de BEREGOVOY

Allocution prononcée par

François Mitterrand

Président de la République,

 

lors des obsèques

 

de  Pierre Bérégovoy

 

Nevers, mardi 4 mai 1993

 

Madame,

 

Mesdames,

 

Messieurs,

 

Je parle au nom de la France, lorsque j'exprime ici le chagrin que nous cause la mort d'un homme dont chacun savait ou percevait la qualité rare faite de courage, de désintéressement, de dévouement au bien public,

Je parle au nom de la France, lorsque je dis devant son cercueil qu’avec Pierre Bérégovoy elle a perdu l'un de ses meilleurs serviteurs et qu'elle en prend conscience sous le choc d’un drame où se mêlent grandeur et désespoir, la grandeur de celui qui choisit son destin, le désespoir de celui qui souffre d'injustice à n'en pouvoir se plaindre, à n'en pouvoir crier.

 

Et je parle au nom de ses amis pour dire qu'ils pleurent un homme intègre et bon, pétri de tendresse et de fidélité, à la fois préparé à subir les épreuves que réserve le combat politique, et fragile quand ce combat dérive, change de nature et vise au cœur.

Sa tradition à lui était celle d'un enfant pauvre, fils d'un père émigré, devenu ouvrier d'usine, et d'une mère ouvrière aussi qui tint ensuite un petit commerce dans un quartier populaire. Il a connu la chance irremplaçable d'une famille unie, auprès de ses parents d'abord, dans son propre foyer ensuite où l'on pratiquait la simple vertu d'une vie qui se gagne à force de travail, de constance et d'études, où rien n'est jamais donné.

Il a suivi l'itinéraire qui va du certificat d'études au CAP d'ajusteur technique, des cours du soir aux examens professionnels, aussi bien à la SNCF qu'à Gaz de France. Il a franchi de degré en degré, en passant par la Résistance, le syndicalisme et l'action politique, les étapes qui l'ont conduit à cette maîtrise du savoir et du style qui lui ont permis d'exercer les plus hautes charges du pays, dont il était justement fier.

 

Nombreux ont été les hommages rendus à Pierre Bérégovoy par ceux de ses adversaires politiques qui respectaient sa personne et mesuraient l'importance de son oeuvre. Qu'ils en soient remerciés, et remerciée également leur présence parmi nous. Mais si l'ont s'éloigne de nos débats intérieurs, cela fait du bien que d'entendre aussi, ou de lire ces appréciations venues de l'étranger et qui disent que «Pierre Bérégovoy mérite l'admiration pour avoir (je cite ici le New York Times) accompli quelque chose d'extraordinaire, renforcé, réouvert l'économie française au point que les comptes de la Nation apparaissent en meilleure santé que ceux de l'Allemagne par exemple». Thème repris par le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung qui ne ménage pas son admiration, je cite encore « pour cet homme qui n'ayant pas fréquenté les écoles d'élite a réussi à s'imposer comme une autorité dans le monde ». Ce à quoi le Directeur Général du Fonds Monétaire International ajoute : « Monsieur Bérégovoy comptait parmi le petit nombre pouvant prétendre avoir réussi à gagner le respect international et la crédibilité pour la monnaie de son pays ». Et c'est l'OCDE qui parlait à son propos «d'une performance exceptionnelle de la France », le Wall Street Journal qui consacrait une publication entière à ce qu'il appelait « ses succès ».

Il semblait à Pierre Bérégovoy avoir accompli tout ce qui dépendait de lui, tout ce qui relevait des moyens de la France pour restaurer les équilibres nécessaires à notre économie. Mais il ne pouvait empêcher que ce qui ne dépendait pas de lui au fort de la crise qui secoue le monde occidental continuât de frapper les Français et il ne se résignait pas au chômage, à la pauvreté, à la peine des gens simples. Se souvenant de sa propre jeunesse, il en souffrait durement. Mais toujours et partout, il est resté fidèle à ses choix.

Ses origines, son milieu l'avaient naturellement porté à militer au sein du mouvement socialiste. Son expérience des luttes sociales, le mûrissement de sa propre pensée l'ont ancré dans la conviction que là était sa voie, là était son devoir. Il n'en a plus bougé, soucieux de concilier les obligations du réel aux aspirations de l'idéal qui l'animait et que partagent tant des nôtres.

Formé à l'école de Pierre Mendès France, il m'a prêté son grand talent. Plus de vingt ans de travail en commun à la direction du Parti Socialiste d'abord, Secrétaire Général à la Présidence de la République, puis membre du gouvernement, Ministre des Affaires Sociales, Ministre de l'Economie et des Finances, enfin Premier Ministre. Son action m'autorise à redire aujourd'hui la capacité de l'homme d'Etat, l'honnêteté du citoyen qui a préféré mourir, plutôt que de subir l'affront du doute.

Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l'on ait pu livrer aux chiens l'honneur d'un homme et finalement sa vie au prix d'un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d'entre nous.

L'émotion, la tristesse, la douleur qui vont loin dans la conscience populaire depuis l'annonce de ce qui s'est passé samedi, en fin de journée, près de Nevers, sa ville, notre ville, au bord d'un canal où il était souvent venu goûter la paix et la beauté des choses, lanceront-elles le signal à partir duquel de nouvelles façons de s’affronter tout en se respectant donneront un autre sens à la vie politique ? Je le souhaite, je le demande et je rends juges les Français du grave avertissement que porte en elle la mort voulue de Pierre Bérégovoy.

Nous sommes autour de vous Madame, autour de vos enfants, de votre cercle de famille, avec le sentiment déchirant de ne pouvoir que vous accompagner sur le chemin qui reste à faire. Un signe, un regard, une certaine façon de se taire pour penser ou prier, le culte du souvenir et l'honneur d'être vos amis, voilà tout ce que nous possédons pour vous aider à vivre l'absence, l'insupportable, l'incompréhensible absence. Mais avec nous voyez cette foule, avant-garde des millions de Français qui dans tout le pays partagent notre douleur. Voyez Nevers, voyez la Nièvre, toutes opinions confondues, qui viennent à vous, qui vous retrouvent et qui vous aiment. J'ai moi-même tant et tant parcouru ces chemins que je reconnais la vieille terre fidèle où il va reposer, et je pense à ces derniers mots du grand savant Jacques Monod que chacun répète en soi-même jusqu'à la fin : «Je cherche à comprendre.»

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Commentaires
A
Vingt ans déjà, un homme que j'admirais et respectais, un grand homme que la France a eu, un grand homme que la France doit s'inspirer.....
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