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L'expertise du cabinet-conseil New Deal
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12 novembre 2008

Le dopage, c’est la santé !

Le dopage, c’est la santé ! mardi 11 novembre par Dr Jean-Pierre de Mondenard

Le sociologue Christophe Brissonneau est « favorable au dopage médicalement encadré ». Légaliser le dopage ? Une option colportée dans les milieux sportifs. Le sociologue Christophe Brissonneau n’est pas un mauvais type. Lui aussi a décelé depuis longtemps que le cycliste était un forçat de la route, à quelques millionnaires près, un ouvrier spécialisé du spectacle sportif, celui qui fait la fortune des télés et des publicitaires.

Récemment, à la question d’un journaliste de Libération : « Êtes-vous favorable à un dopage médicalement encadré ? », Brissonneau répond : « Personnellement oui. Mais il est déjà médicalement encadré de fait. La période est relativement hypocrite. Je vois des forces morales issues du monde médical, plutôt des mandarins que des médecins, au contact des travailleurs car ces médecins de terrain sont proches de la souffrance. Ces "grands médecins" posent un regard éthique sur ces travailleurs. De sorte qu’on est loin d’une légalisation du dopage pour le moment. Notre société est pourrie mais le seul endroit qui doit rester pur, c’est le sport. C’est comme un sanctuaire religieux pour ces quelques mandarins rencontrés. »

On a du mal à comprendre comment un garçon qui est sans doute docteur en socio mais pas en médecine, qui n’a jamais ramassé un dopé tombé au bord d’une route, peut s’exprimer sur le sujet en dehors du Café des Sports ? Ou alors, notre ami Brissonneau ignore que son monde idéal, celui d’un dopage scientifique pratiqué par des médecins, a déjà existé : il s’appelait Allemagne de l’Est.

De la liberté de se doper

Mais Brissonneau, ancien athlète spécialiste du triple saut, n’est pas le premier à avoir ce discours : « puisqu’ils se dopent, dopons les tous ! ». En vérité, dès 1921, Paul Hamelle, un journaliste sportif et auteur du premier article sur le doping paru dans Le Miroir des Sport estimait qu’il faut « laisser à chacun sa liberté, même celle de se faire à lui-même du mal pourvu que, le faisant, il n’en fasse pas aux autres ». Tant pis si, à l’époque où le journaliste pond son article, la cocaïne, qui fait partie intégrante du viatique des hommes de sport, augmente fortement l’agressivité et la violence des consommateurs.

Ainsi, dans les sports de contact, les adversaires de ces types « bien préparés » doivent se taire quand ils subissent les effets collatéraux de cette violence « chimique ». De même, sous l’emprise de telles drogues – notamment d’un stimulant mal dosé, le sportif perd sa lucidité et, dans un peloton se déplaçant à vive allure, peut par un écart intempestif envoyer tout le monde à terre. Ce journaliste est vraiment un pionnier puisqu’il faudra attendre une quarantaine d’années avant de trouver d’autres hommes de plume partisans de la liberté de se doper.

C’est tout d’abord Jean Leulliot, journaliste sportif au quotidien l’Aurore qui, partant du postulat ambiant du début des années 1960 affirmant qu’il est prouvé qu’on ne peut rien faire contre le doping, fait cette proposition : « Il faut, comme disait Henri Desgrange, autoriser ce qu’on ne peut empêcher et créer dans le Tour de France deux catégories de routiers : 1) les coureurs qui admettent le contrôle médical du docteur du Tour avec tous les examens que cela peut supposer ; 2) les coureurs qui ne l’admettent pas ». Il poursuit son argumentaire : « Le doping est devenu un problème d’âge moderne ; on a vu des gymnastes se faire insensibiliser les muscles pour ne pas ressentir la douleur ; on traite les athlètes comme on traite les cosmonautes ; l’homme est devenu un cobaye ; on doit donc être amené à admettre ce qu’on ne peut empêcher. »

Cinq ans plus tard, c’est Robert Ichah, journaliste sportif à France-Soir mais aussi au mensuel Sport-Mondial, qui prend le relais en écrivant après la mort du britannique Tom Simpson victime de la chaleur et du dopage sur les pentes brûlantes du Mont Ventoux : « Mais la vraie sagesse, puisque le doping existe et qu’il est efficace (la preuve !) serait au lieu de l’interdire, de le légaliser. Il serait utile sans devenir dangereux. Parce qu’un article prohibé est toujours coûteux et nocif de par sa nature même : clandestine. »

Ainsi, ce sont exclusivement des journalistes dont les compétences sur le fonctionnement du corps sont inexistantes, qui sont partisans de laisser les acteurs se sublimer comme bon leur semble.

.Légalisation !

À l’entame des années 1970, ce sont des médecins qui prennent le relais des rédacteurs sportifs. Avec pour chefs de file François Bellocq et Bruno de Lignières qui préconisent la libéralisation du dopage « sous contrôle médical » en argumentant que c’est beaucoup plus la pratique même du sport de haut niveau qui tue, beaucoup plus que le dopage. Qu’en conséquence, un soutien hormonal médicalisé serait la moins mauvaise des solutions. Cette vision totalement nihiliste, qui avait bien sûr reçu l’aval total du milieu sportif notamment cycliste, mais pas de la majorité des dirigeants internationaux, a été rejetée par le Comité consultatif national d’éthique en mai 1993. Après l’affaire Festina, lors du Tour de France 1998, certains responsables sportifs, plus préoccupés par la santé du sport business que par la santé des sportifs, ayant compris qu’ils avaient tout à perdre à vouloir s’opposer de front aux athlètes en cherchant à optimiser la lutte antidopage, ont repris eux aussi cette rengaine : libéralisons le dopage !

C’est ainsi que le numéro un de l’olympisme pendant deux décennies, Juan Antonio Samaranch, dans une interview parue en juillet 1998 dans le quotidien madrilène (de droite) El Mundo rejoint le peloton du libre dopage, ou presque : « La liste actuelle des produits dopants doit être réduite drastiquement. Tout ce qui ne porte pas atteinte à la santé de l’athlète, pour moi, ce n’est pas du dopage. Actuellement, on considère dopants toutes les substances interdites par la Commission médicale du CIO. Pour moi, cela ne suffit pas. Un produit dopant est celui qui premièrement nuit à la santé du sportif et deuxièmement augmente artificiellement son rendement. Si seule cette seconde condition se vérifie, pour moi, ce n’est pas du dopage. » Même si quelques semaines plus tard sous la pression internationale, Samaranch mettait de l’eau dans son EPO, son message avait été reçu cinq sur cinq par des membres du CIO. Notamment par Guy Drut l’un de ses plus fidèles soutiens lors des toutes dernières tempêtes olympiques de son ultime mandature.

L’ancien champion olympique du 110 m haies, présent le 2 janvier 2000 sur un plateau de télé, n’hésite pas à emboîter la foulée de Samaranch. De même, l’Australien Phil Coles, autre membre du CIO, a pris lui aussi la défense du permissif patron du CIO. Dans ce camp des « libéraux », l’on trouve également Robert Louis-Dreyfus, actuel PDG d’Adidas et de l’Olympique de Marseille qui croit que des « additifs » bien dosés sont sans dangers dès lors qu’ils sont administrés sous surveillance médicale : « Il faut arrêter l’hypocrisie : à l’instar de la libéralisation de la drogue, mieux vaut tolérer des additifs bien dosés et administrés par des docteurs sérieux (sic) que de laisser le dopage clandestin aux mains de charlatans. »

Deux siècles de dopants

Vous avez dit « bien dosés » ? Sachez donc qu’il a fallu cinquante ans (1820-1870) d’utilisation régulière de la morphine pour que les périls en apparaissent au grand jour. Quinze ans d’emploi médical de la cocaïne (1870-1885) pour en établir les dangers. Quant à l’héroïne, produit particulièrement difficile à manier, il a fallu quand même attendre quatre ans de son usage thérapeutique pour que ses forfaits en soient dénoncés. En ce qui concerne les stéroïdes anabolisants, la catégorie des dopants les plus consommés par les athlètes pendant ces quarante dernières années, il faut se souvenir qu’au début de leur commercialisation en 1960, les experts les assimilaient à de simples vitamines. Aujourd’hui, on sait qu’ils provoquent de nombreux cancers ou tumeurs malignes (foie, prostate, testicule, reins), des artérites, des atteintes cardiovasculaires), j’en passe et des pires.

Si Samaranch, Drut, Coles, Louis-Dreyfus et Brissonneau étaient médecins, ils sauraient que régulièrement le corps médical est informé que tel ou tel médicament, après 10, 20, 30 ans d’exploitation, est retiré du marché pour atteintes toxiques avérées. De même, il faut savoir que les maladies iatrogènes, affections dues aux seuls médicaments, provoquent au moins autant de décès que les accidents de la route. Et surtout, le danger des substances médicamenteuses n’est pas le même si on les prend pour passer l’après-midi devant la télé pour regarder le Tour ou pour faire 200 km à vélo lors d’une étape de la Grande boucle.

Jean-Paul Sartre, lorsqu’il rédigeait ses manuscrits, consommait quotidiennement pour se stimuler 20 comprimés de Corydrane® (une amphétamine) avec pour, seule épreuve physique, le geste de s’asseoir et se lever de sa chaise (au pire d’avoir à honorer Simone ou une autre) ! Dans son cas, le risque était de développer une pathologie chronique.

Des sportifs qui creusent leur tombe

Mais si un athlète d’endurance absorbe la même dose pour participer à une compétition, notamment sous la chaleur, il est probable sinon certain qu’il se retrouvera au mieux en réanimation et, au pire, à la morgue. En dehors de militer pour l’autorisation des dopants, les tenants de la libéralisation se payent la tête des défenseurs de l’antidopage : « En somme, la seule solution éthique qui s’offre au médecin confronté à un sportif de haut niveau souffrant des excès de son activité, c’est de le mettre au repos, temporairement ou définitivement. » Ils ajoutent, malicieux : « Répondre à un sportif que la seule solution c’est le repos, est contre-productif du point de vue de la santé, mais aussi, c’est injuste. »

On aimerait alors que les convaincus de l’innocuité des médicaments nous expliquent clairement pourquoi dans le milieu hippique, où les enjeux financiers sont également considérables, cela ne provoque aucun débat éthique de laisser au pré un cheval blessé ou malade le temps qu’il soit soigné et complètement rétabli ?

Où l’on voit donc l’homme se préoccuper beaucoup plus efficacement du bon état physiologique du cheval que de sa propre santé. Il y a une quarantaine d’années, le docteur Georges Ronneaux – secrétaire général de la Société d’Études médicales du cyclisme – avait déjà flairé cette priorité de la bête sur l’homme : « Les Sociétés de course hippique ont pour but l’amélioration de la race chevaline. Dans les compétitions athlétiques, c’est l’amélioration des records qui est avant tout recherchée. »

Que des dirigeants colportent la thèse qu’il existe des substances dopantes efficaces et « inoffensives » montre bien que la ministre de la Santé et des Sports Roselyne Bachelot, son secrétaire d’État aux Sports Bernard Laporte et leurs conseillers scientifiques ont encore beaucoup d’hormone sur la planche avant de renverser ce mythe : la drogue « de la performance » est anodine. Pour s’en convaincre, puisque c’est la période de la fête des Morts, ils devraient faire un tour dans ces cimetières où l’on a creusé trop de tombes pour le dernier repos de ses sportifs dopés, échappant à la Terre bien avant l’âge.

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