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L'expertise du cabinet-conseil New Deal
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15 janvier 2006

HOMELIE MGR AGBACHI

Messe d’enterrement

Justine CHABI née OKPARA

dite Maman Roma

Cathédrale Saint Pierre et Saint Paul

Samedi 14 Janvier 2006


Vous les habitants de Parakou, qui est-ce qui vous a fait quitter vos maisons pour converger vers ce lieu en nombre si élevé et grandiose ? Et vous qui venez du dehors, qui est-ce qui vous a fait quitter vos villes et villages, pour relever de défi de la route plus ou moins longue ? Qui donc est celui qui a fait remplir et déborder ma Cathédrale, la rendant trop étroite pour la circonstance ?

A toutes ces questions, une seule réponse : Justine née OKPARA, épouse CHABI, affectueusement connue de tous sous le nom de Maman Roma.

         Maman Roma ! qui donc est-elle ? Est-ce la reine d’un Royaume rutilant de richesses et de force militaire ? Est-ce une ex-première Dame comblée de gloire et rassasiée de splendeur ? Est-ce enfin une intellectuelle nantie de hauts diplômes universitaires et professionnels ? Tout cela, il n’en est rien ! Maman Roma était une femme. Une femme au sens plénier du terme. Une femme comme les autres, elle n’était qu’une femme, et ceci, il faut le dire avec toute l’estime et l’admiration dont on est capable. Ce n’était qu’une femme mais alors une vraie femme, une femme vraie. Entendez par là une femme qui ne savait pas mentir, selon le beau compliment que Jésus a adressé à Nathanaël à leur toute première rencontre. Une femme vraie aussi, parce que, femme du pays Tchabè, elle a épousé parfaitement tout ce qui caractérise les rugueuses conditions de vie de la femme Nago : très peu d’abondance dans l’avoir, très peu de commodités dans le vivre, privation de beaucoup de choses, longs voyages à pied de jour et de nuit, en trimbalant sur la tête des fardeaux pesants … Voilà quelques choses de la femme nago du temps.

Maman Roma était une vraie femme nago, non pas en ceci qu’elle portât droit sur les joues les cicatrices raciales, mais aussi parce qu’elle incarnait en profondeur les caractéristiques fondamentales des femmes de ce peuple en ce qu’elles ont de beauté physique, de coquetterie, de dignité, de noblesse et d’orgueil racial. Elle ne se contentait pas d’être l’incarnation du général, mais elle avait sa particularité et les contours précis d’une personne qui ne se confondait avec personne. Elle voulait, elle voulait fort, elle savait vouloir, elle savait vouloir fort, elle savait ce qu’elle voulait, elle voulait ce qu’elle voulait. Bref, une femme forte, sur le modèle de la Judith juive et aussi sur le modèle de la femme  inconnue du Livre des Proverbes, qu’on vient de nous décrire dans la première lecture de ce jour. Elle était une femme, comme toute femme pourrait désirer être, comme tout fils désirait avoir une mère, comme tout mari désirerait avoir une épouse : forte, réaliste, sensible, généreuse, sachant bien gérer les défauts de ses qualités, à cause d’une intelligence pénétrante et un puissant pouvoir de discernement. C’était une femme, une vraie femme de mon peuple.

         Mais le plus beau chez elle, ce n’est rien de tout ce que nous venons d’énumérer. Le plus beau, c’est que c’était une femme chrétienne. Je le dis, même si cela l’arrache au peuple nago et fait d’elle la femme de l’univers, dans son appartenance à l’Eglise catholique. C’était une vraie femme chrétienne. On ne peut soutenir une telle affirmation sans raconter quelque chose de l’histoire de notre maman. Et l’histoire, la voici :

Maman Roma n’a pas toujours été chrétienne. Elle n’était pas de ceux-là qui naissent dans des foyers légitimes pour être baptisés le huitième jour. Elle est devenue chrétienne. Avant de le devenir, elle avait cherché les voies de la puissance, du succès, de la protection et de l’invulnérabilité partout où les bons Africains les cherchent ordinairement. Après avoir été victime à grande échelle des duperies de charlatans et des mensonges de devins, elle découvre le Christ comme le trésor de principe qui contient tous les trésors. Depuis qu’elle a fait cette découverte, elle s’est alliée au Christ dans une alliance éternelle, dans un attachement total et une foi non négociable. Quand elle a trouvé entre le Christ et elle l’obstacle de sa vie matrimoniale, elle n’a pas hésité à quitter son premier mari à cause de la polygamie pour aller en aventure à la recherche de l’homme qui accepterait de contracter avec elle le mariage religieux catholique légitime. C’est ainsi qu’elle a émigré ici à Parakou pour y rester jusqu’à la fin de ses jours, comblée par le Seigneur qui a exaucé ses prières et satisfait son légitime désir.

         Chrétienne, elle n’entendait pas l’être à moitié, ni laisser subsister la moindre ambiguïté. Elle voulait être chrétienne aussi profondément que toute personne sérieuse adhère à son Dieu par le biais de sa foi. Elle a cherché à être aussi sérieusement chrétienne qu’un musulman cherche à être sérieusement musulman. Voilà pourquoi, elle a entrepris, elle aussi, de visiter les lieux saints de notre foi, Rome, Lourdes et Jérusalem, et c’est ce qui explique le nom que tous lui connaissent : Maman Roma. Dans le pèlerinage en ces lieux sacrés, elle a eu la satisfaction de contempler les traces des Apôtres, les empreintes de la vierge Marie et le pays de Jésus.

         Tout ce que je viens de dire là peut être considéré comme des signes extérieurs de la foi. Mais la foi de Maman Roma ne se contentait pas du « m’as-tu-vu ? » En exerçant sur elle mon regard pénétrant de Pasteur, j’ai perçu combien cette femme aimait l’évangile et faisait tout pour lui être soumise. Il m’a été loisible aussi d’évaluer négativement ce que cette femme aurait été sans l’évangile du Christ dans sa vie, lorsque j’ai estimé positivement ce qu’elle était devenue en se soumettant à l’évangile. Cela pourrait n’être qu’un jugement humain, mais je l’atteste.

Pour Maman Roma, l’évangile, qu’est-ce que c’est ? C’est bien ce qu’elle a appris  de son catéchisme en ce temps-là, mais, c’est aussi ce que les prêtres lui expliquaient à travers  les homélies et les interventions ponctuelles auprès d’elle, à l’occasion des problèmes de sa vie chrétienne. Et quand l’homélie n’était pas traduite en Yoruba, elle ne manquait pas de s’abonner à sa fille pour s’en faire dévoiler le contenu.

         Après avoir identifié les prêtres comme les messagers de l’évangile, elle leur faisait une confiance totale et ne remettait jamais en question leur parole. Un tel respect pour l’homme de Dieu, nous attendrons encore longtemps avant de l’avoir. Maman Roma savait voir la puissance du Christ se déployer dans le ministère du prêtre et cela l’amenait à concevoir pour lui un respect inconditionnel. Au concret, il lui est arrivé de souffrir de l’un ou l’autre  prêtre, mais elle n’a jamais perdu cette vénération pour l’homme de Dieu.

On comprend parfaitement son émotion lorsque elle a appris en 1993 que le Pape Jean-Paul II allait venir à Parakou au mois de Février. Oh, ce n’était pas leur première rencontre, car à Rome, des années auparavant, elle avait pris des photos avec le Pape, à l’occasion d’une audience privée lors de son pèlerinage. Mais que le successeur de Pierre vienne maintenant chez elle, quelle joie ! Les organisateurs de cette arrivée du Pape savent combien Maman s’est dépensée et ce qu’elle a dépensé au nom de l’Evangile.

C’est au nom du même évangile qu’elle ne contrôlait pas sa générosité pour toutes les œuvres caritatives visant à soulager les nécessiteux comme les prisonniers et les pauvres.

On peut dire à juste titre qu’un des désirs chers au cœur de notre Maman est resté insatisfait : le désir de voir dans sa descendance surgir des âmes consacrées et des vocations sacerdotales. Dans ce sens, elle a eu de bonnes espérances qui n’ont cependant pas abouti de son vivant. Il faut imaginer que ce que le Seigneur n’a pas voulu lui faire voir sur cette terre, il le lui ferait contempler du haut du ciel un jour. Mais nous pourrons affirmer avec certitude que bien des prêtres font partie de sa descendance spirituelle. Maman Roma a constitué pour des générations de séminaristes de Notre Dame de Fatima, une famille d’accueil et bon nombre de la couronne de prêtres que nous formons ici dans cette Eglise, avec des prêtres absents appartient à cette catégorie. Cela constitue Maman Roma, maman de prêtres et explique que le beau chapelet qu’elle emporte dans la tombe lui ait été offert à titre de reconnaissance par l’évêque de Djougou, Mgr Paul VIEIRA.

Force est de reconnaître maintenant que nous disons toutes ces choses sur Maman Roma parce qu’elle n’est plus. En effet, le 7 janvier dernier, à 4h30, la mort à la longue faucille est venue faucher Maman Roma, après une longue maladie qu’elle a supportée avec un courage masculin.

Cette mort qui l’a emmenée dans le sein du Père disposait de certaines grandes facilités. La mort avait de son côté le péché d’Adam et d’Eve qui a été la porte ouverte pour elle pour qu’elle entre dans le monde. La mort a profité aussi du grand âge de Maman (92 ans) et d’une maladie traîtresse qui a atteint le stade incurable avant d’être découverte. Mais il faut avouer que cette mort a trouvé sur son chemin de remarquables obstacles.

Le premier, c’est la compétence, le dévouement qu’à mobilisés pour la soigner le personnel de différentes cliniques de Parakou, du CHD, du CNHU. Ce serait le moment d’adresser à tous ceux-là des félicitations méritées. Soyez assurés que vous avez tous droit aux bénédictions de Maman du haut du ciel.

Le deuxième obstacle que cette mort a rencontré, c’est l’amour obstiné des enfants à sauver leur maman à tout prix, et de prix, ils ont payé par leur temps, leur argent gagné et leur argent perdu, leur énergie, leurs nuits et leurs jours, leur attention, leur vigilance, leurs voyages et leurs soucis. Il vient à point nommé ici le dicton fon qui dit qu’on peut toujours faire son devoir et être pourtant remercié. Ces enfants sont tous à féliciter avec tous les proches qui leur ont été d’un secours inestimable.

Le troisième obstacle que cette mort a rencontré, c’est, du côté de la maladie même, sa farouche détermination à vivre et son âpreté à lutter contre la mort, pour sa vie. Qui l’a vu faire lui en rend témoignage.

Le tout dernier obstacle que cette mort a rencontré, l’obstacle qui la vaincrait elle-même, c’est Jésus-Christ, l’ami intime de Maman Roma, son allié depuis le temps de sa conversion. L’obstacle que constitue Jésus-christ, c’est que Jésus est mort et ressuscité, c’est qu’il a vaincu la mort et entendait partager avec sa servante le triomphe de sa victoire. Rien d’étonnant que pour la messe de ce jour, nous vous ayons proposé un texte de l’Ancien Testament qui se lit surtout dans les messes de mariage. Oui, aujourd’hui, c’est le mariage de Maman Roma avec Jésus-Christ qu’elle a aimé et qui l’aime. C’est la rencontre définitive entre l’Epoux divin et sa servante terrestre.

Même si j’ai déjà été long, permettez-moi de finir par une petite note personnelle. Avec Maman Roma, mes aventures ont proprement commencé il y a vingt ans, quand il m’a été donné de l’accueillir à Rome lors de son pèlerinage, me trouvant ainsi associé à ce nom de Maman Roma qui lui est connu de tous. Depuis lors, les contacts n’ont fait que se serrer entre elle et moi, dépassant les liens de sang qui faisaient que de son côté paternel, elle était liée à ma famille maternelle. J’étais l’héritier privilégié de ce grand respect qu’elle avait pour l’homme de Dieu et mon élévation à l’épiscopat n’a rien gâté à mon prestige devant ses yeux désormais fermés à la lumière de la terre.

Quand, le vendredi 6 janvier, Maman allait manifestement mal, je me suis présenté à son chevet pour lui faire le discours suivant : « Nous savons que tu souffres, mais fais tout pour tenir la vie en toi jusqu’à demain ». Elle m’a entendu de son coma, elle m’a exaucé et n’a fermé les yeux que le 7 au petit matin. Ce 7 janvier correspond exactement à mon vingt huitième anniversaire sacerdotale. Voilà le cadeau qu’elle m’a fait en quittant ce monde. Désormais, chacun de mes futurs anniversaires d’ordination correspondra aux anniversaires de son décès. Je porte mon cadeau dans mon cœur. Mais aujourd’hui, ce cadeau est bien douloureux, car pour moi, il a la saveur de la perte d’une deuxième maman.

Le 7 janvier aussi a été la veille de l’Epiphanie. Qu’est-ce qui nous empêche de croire que Jésus l’a appelé à lui en ce jour-là pour lui montrer l’étoile dont la lumière ne s’éteint pas ?

 

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